Me voilà de nouveau seule. A errer comme sombre petite poltergeist dont l'âme a brûlé en enfer. Si seulement la mienne avait pu disparaître également. Même si, comme l'instant d'avant, la vie de fantôme peut finalement dépasser les barrières du corps pour porter plaisir à la chair, il y avait encore bien peu de choses qui pouvaient faire préférer la vie de morte à la vie humaine. Mes joues sont encore fraîchement rougies par ce qu'il venait de se passer. Étions-nous...ensemble ? Pouvions-nous nous considérer comme des êtres liés. J'ai encore mal au ventre, envie de me presser contre un corps. En tant que fantôme, j'ai l'impression d'avoir davantage besoin de la peau humaine qu'avant. Peut-être que l'action était moins pénétrant, je le ressentais moins et en avait donc besoin de plus. Oh...je ne sais pas, je ne sais plus. Au final qu'importe, dès que je le retrouverai je pourrais me reglisser contre sa queue avec la souplesse d'une féline. Encore ce mal au creux de mes entrailles. Bien étrange. J'ai soudainement envie de caresser mon corps, j'ai toujours faim. Mais aucun fantôme n'est là...et j'ignore si je pourrai reprendre le premier humain passant.

Mécaniquement, je passe mes mains le long de ma robe sans vraiment réfléchir. De toute façon, je flotte quelque part dans l'une des chambres qu'utilisent encore les vivants. Peut-être que j'y verrai arriver un vivant apte à vouloir d'une morte comme moi. Un autre Erwan. Ou lui-même d'ailleurs, ce serait encore mieux. Au moins j'aurai la certitude que cette partie de jambe-en-l'air pourrait fonctionner. Faisant courir mes mains une nouvelle fois le long de mon corsage inutile, je voletai doucement vers le lit à baldaquins, rideaux délicieusement rouges. Comme la passion, comme la plus délicate des roses dont on caresse les épines le long d'une peau blanche comme la mort.

Je m'allonge doucement, faisant bien attention à ne pas traverser le matelas. La caresse des draps me perturbe bien que je n'en sente qu'au minimum 20% des sensations ordinaires. La tête au milieu des coussins, mes cheveux s'étendent le long de mon visage, laissant une couleur noirâtre se confondre avec le blanc des tissus. Je perds en conscience, petit à petit, laissant glisser une main qui vient défaire mon corsage. De toute façon, si jamais quelqu'un entre, il ne pourra qu'être surpris à ma vision. Et si c'est un homme qui a faim, tant mieux. Sinon...et bien il repartira, parce que de toute façon il ne pourra pas me faire partir, ni me faire mourir. Le plan parfait, je vais pouvoir jouer en paix. Ah, la paix. Ça c'est sûr que quand on est mort, plus personne ne peut venir nous embêter pour un oui ou pour un non. La magie du silence.

Pour une fois, Felix ne s’était pas mis dans le pétrin et ne courrait pas pour sa vie, tentant de fuir un Gardien ou une Brute. Non, pour l’instant, tout était calme. Voire même peut-être trop mais bon… Il se retourna quand même, jetant un coup d’œil derrière son dos, vérifier qu’il n’était pas suivi. C’était là un peu sa hantise. S’il n’avait rencontré personne aujourd’hui, c’était peut-être parce que, justement, il avait déjà été repéré et traqué. S’il avait été suivi, pourquoi son chasseur ne lui aurait pas déjà sauté dessus ? Il n’était pas bien fort physiquement, amaigri par la rareté de la nourriture et affaibli pour un rhume qui lui donnait l’impression d’avoir une barre au-dessus des yeux. Il n’opposerait pas beaucoup de résistance, c’était certain. Il frissonna alors, continuant de regarder les couloirs vides devant lui puis, se tourna une nouvelle fois pour continuer sa marche. En tout cas, une chose était sûre, les étages supérieurs du Manoir étaient beaucoup, beaucoup moins effrayants que les sous-sols, c’était un fait. Il y avait moins de cris de douleur et moins de Scientifiques qui cherchent à vous ouvrir en deux. Il eut une petite grimace en repensant à Kathleen et la cicatrice qu’elle lui avait laissée sur le torse. Puis il repensa à David qui lui aussi, avait laissé sa marque dans sa chair. Ce fut ensuite au tour d’Harry de surgir dans sa mémoire et un voile triste passa sur le visage de l’horloger. Il ne savait rien à propos de lui, juste qu’apparemment, ils se connaissaient. Tinky lui disait de pouvoir lui faire confiance mais… c’était Tinky qui parlait après tout. Comment être certains que le moineau disait la vérité. Est-ce que David disait la vérité ?

Il soupira longuement et continua de déambuler entre les portes des chambres avant qu’il ne ressente l’envie de se poser tranquillement, quelques minutes au calme. Il ouvrit alors une porte au hasard et ce dernier fait apparemment mal les choses car la pièce semblait déjà être occupée par quelqu’un. Sur toutes les chambres du Manoir, il avait fallu qu’il tombe sur celle qui n’était pas vide. Il murmura un bref « désolé » et ressortit rapidement, essayant de faire bref pour ne pas trop attiré l’intention sur l’occupant. Si cela avait été un Gardien ou une Brute, il valait mieux qu’il se fasse oublier très vite. Cependant, il remarqua que sa main, bien qu’il ait fermé la porte, n’avait pas quitté la poignée. Et en y repensant la silhouette lui avait été familière. Il fronça les sourcils et, quoiqu’un un peu inconscient, entra de nouveau dans la salle, bien convaincu à connaître l’identité de la personne dans la chambre. Il s’arrêta après avoir fait à peine deux pas dans la salle, reconnaissant Amy. Amy qui était allongée sur le lit, le corset ouvert, ne faisant il-ne-savait-trop-quoi. Après tout, est-ce qu’il avait vraiment envie de le savoir ? Ne pouvait-il pas s’en douter lui-même aussi ? C’était Amy après tout. Toujours à avoir besoin de ça. Il savait qu’elle est en quelques sortes malade mais qu’elle n’avait que très rarement voulu en parler (ou alors quand elle avait eu un verre de trop dans le nez) et encore. Il la regarda un instant, ne sachant trop quoi lui dire. Depuis qu’ils étaient arrivés dans le Manoir, elle se montrait relativement agressive à chacune de leurs rares rencontres, il se devait donc de choisir ses mots avec soin pour ne pas provoquer une nouvelle crise de colère chez son épouse. Mais comprenant rapidement ce qu’elle comptait faire avec elle-même, il baissa les yeux et se dirigea vers la sortie de la chambre en murmurant un rapide :

- Désolée de t’avoir dérangée.

C’était peut-être la seule chose à faire pour qu’elle ne rentre pas dans une colère noire, s’excuser et la laisser tranquille. Est-ce que cela le gênait de la voir à moitié nue, faisant ses affaires à la vue du premier venu ? Oui, un peu. Mais que pouvait-il y faire ? Elle faisait ce qu’elle voulait, bien que cela le peinait atrocement.

Ma peau a toujours été d'une grande douceur entre mes mains, toujours de cette même fragrance délicate qui passe le long de mes doigts. J'ai toujours préféré être caresser de mains étrangères aux miennes, des mains d'hommes virils à la carcasse qui m'englobent de leurs grandes puissances. Je me sens soudain si petite, si loin de tous les beaux miroirs qui renvoient de moi-même l'image de la perfection. Dans les bras de ces êtres dont j'ai besoin pour ne pas devenir folle, je me sens soudainement si bien, si agréablement bien. Que ce soit brutale ou doux, tout me va. Même si j'apprécie la poigne d'un homme fort.

Mon époux était doux, vraiment doux. Même s'il lui arrivait d'être violent dans ses gestes, quand il me prenait contre le mur. A ce jour où nous avions cassé la porte de notre chambre en essayant d'entrer, je le sentais si dur contre moi que j'en criais si fort. Combien de fois notre voisine s'était précipité dans notre maison en gueulant plus fort que moi en orgasme que nous étions des monstres qui nous nous plaisions dans le satanisme. Tout simplement parce qu'on aimait un peu trop se faire plaisir. Nos peaux l'une contre l'autre, cette sensation d'être à la merci de lui.

Mais c'est alors que j'entendis une voix masculine s'excuser d'être ainsi entrer dans cette chambre. Mon corps avait déjà été mis à nu par mes mains. Doucement, je me redresse sur le lit, les mains s'agrippant sur les draps. Car je sais que c'est une voix d'homme et déjà mon corps frétille. Je suis malheureusement encore soumise à la folie de ma névrose. Nymphomane de toujours, mon intimité s'humidifie dans toute la transparence de mes passions. Je sais qu'il y a un homme non loin de moi. Je veux savoir qui c'est. Mais dans l'obscurité de la chambre, j'observe une silhouette que je reconnais. Contente ou non, je ne sais pas. Finalement, je sentis tout de même ma peau frissonner doucement. Je crois...non, je suis sûre qu'il s'agit de Felix.

Tu peux rester si tu veux...

Murmurai-je doucement, assez fort tout de même pour pouvoir être entendu par lui. Je m'étends lascivement, comme féline je miaule doucement. Serais-je en train de refaire une crise alors que cela ne doit faire que quelques heures à peine que j'ai laissé Erwan ? Et lui ? Que devrais-je en faire, en dire ? Devrais-je dire à Felix que j'étais avec Erwan ? Mais je ne sais au final même pas si je suis avec Erwan. Alors comment faire que dire ? Je n'aime pas penser à tout ça. J'ai soif et faim de toutes ces choses dont j'avais envie. Souffrant de ce maux si agréablement au final. Je cambre mon dos pour faire bien voir mon corps, la blancheur de ma peau fantomatique.

Viens...non...si...viens...je...aowh...

Felix regarda Amy avec un air surpris et assez triste. Sa défunte épouse était à aussi nue que le lui permettait sa condition ectoplasmique. Ses yeux la virent se redresser afin de mieux pouvoir voir l’intrus, intrus qui baissait la tête, presque honteusement. Oui, il était gêné. Gêné de retrouver sa femme dans un état pareil au milieu de n’importe où, à la merci de tous. Il aurait espéré que sa nymphomanie lui soit passée à cause de son décès mais, à voir là où elle avait sa main, ce n’était apparemment pas le cas. L’horloger soupira, désemparé, ne sachant plus trop quoi faire. Il avait l’impression que les yeux bleus de son épouse ne le voyaient pas comme son mari mais comme un individu humain et adulte pourvu d’un appareil reproductif mâle. Il connaissait ce regard, il ne l’avait pas oublié. Celui où madame Adler (ou Mlle Carter ?) perdait contrôle de soi, sa lucidité pour ne penser plus qu’à soulager les élans de son bas-ventre. Felix continuait de ne pas la regarder, gêné par un tel comportement de sa femme qui ne voulait que se faire prendre par un individu masculin. Il soupira même. Il adorait son épouse mais… là… Cela n’avait rien de vraiment romantique que de voir sa femme en rut, lui miaulant de venir.

- Non, Amy… Non merci…

De plus, il venait de sortir de chez Kathleen, sa cuisse et son torse étant toujours fraichement recousus et il n’avait pas forcément envie de rouvrir les plaies dans des ébats imaginatifs. Car disons-le clairement, les deux époux ne pouvaient se toucher. Et, on pourra dire ce que l’on veut, c’était assez frustrant. Enfin, il ne savait pas si Amy ressentait cette même frustration mais en tout cas, elle était bien présente chez Felix. Si bien que cela lui coupait toute envie ne serait-ce que d’essayer quoique ce soit. Il soupira une nouvelle, lançant un nouveau regard vers son épouse. Un regard triste avec peut-être une once de pitié. Oui, il avait de la peine pour sa femme qui était toujours dans un tel état de souffrance de manque charnel, même dans la mort. Et puis… Il s’en voulait de l’avoir trompé avec Harry, mine de rien… Peut-être qu’il devait le lui dire, d’ailleurs… Qu’il avait été infidèle. Ou peut-être devait-il lui parler de ce fort charmant et bel homme qui l’avait soigné et aimé comme s’ils avaient toujours été amants. C’était d’ailleurs ce qu’avait prétendu ledit Scientifique. Avant que David n’arrive et ne le chasse, disant qu’Harry n’était en fait pas celui qu’il prétendait être et qu’il était d’ailleurs en couple avec le chirurgien aux yeux bleus. Il sentit alors la curiosité l’envahir et en oublia presque Amy qui se tripotait à côté. Harry avait prétendu le connaître et ce qu’avait dit David avait laissé entendre que c’était vrai. Mais l’un des Scientifiques prétendait de ne jamais lui faire de mal alors que le second disait l’inverse. Si l’horloger et le vétérinaire se connaissaient vraiment avant d’entrer dans ce Manoir, Amy devait en savoir quelque chose. Le menton dans le poing, la mine songeuse et le regard sur le bout de ses pieds, il finit par dire :

- On connaissait un Harry Downcry ?

A la texture délicate de ma peau contre mes doigts, je ne pus que goûter à la subtilité de son inexistante physique. Mais c'était bien là le cadet de mes soucis andis que je recherchais à travers mes membres une satisfaction que mon mari se tardait à venir me procurer. Vraiment, qu'il était lent. N'importe qui aurait déjà sauté sur cette occasion déjà bien trop belle. Erwan n'avait pas hésité à faire cela, prenant mes hanches fantomatiques pour les fendre, les mouler à son propre corps. Mais là, il n'y avait personne d'autres que lui et moi. Felix, nos retrouvailles ne s'étaient pas passé des plus correctement. Tellement de souvenirs me manquaient parfois quand je pensais à notre vie ensemble. Il me semblait que la mort m'avait au final arracher bien plus que ce que j'acceptais de penser. Mais tout ceci n'avait aucune importance ici, car avec deux appendices de ma main je passai une caresse nonchalante dans la fente de mon intimité, là où le fait d'être ectoplasmique m'aidait encore mieux lorsque je mouillais d'excitation. Miaulant d'excitation vers Felix, il me semblait complètement impossible qu'il ne se précipite pas sur moi pour en profiter ! Erwan avait voulu d'elle, pourquoi pas lui ? Le contact d'un fantôme ne lui suffit pas ? Ce n'est pas assez chaud pour lui ? Pas assez physique ? Certainement.

Mais alors que je tentais vainement de l'aguicher avec des poses lascives et des bruits plus que descriptifs de mon envie, je l'entendis par-fai-te-ment et dis-tinc-te-ment me re-fu-ser ce coït. Pardon ? Je me redressai presque aussitôt, les sourcils froncés avant de gémir puissamment, sentant comme une pointe dans mon bas-ventre qui me faisait mal. Reprenant donc mes caresses où je les avais abandonné, je continuais à l'appeler silencieusement, avec toute la sensualité brutale que je pouvais mettre en œuvre dans le dépliement de mes bras le long de mes hanches blanches...mes mains se déplaçant de mon bouton de rose vers ma poitrine, le long de ma gorge, mes lèvres. Personne n'aurait réussi à résister. Comment ce petit enfoiré pouvait aussi facilement le faire ?! Même un vivant aurait au moins essayer de toucher, de voir, de tenter ! Mais il restait imperturbable, comme plongé dans ses pensées, ce que je trouvais inacceptable alors qu'une créature comme moi faisais la chatte en chaleur à côté de lui. Néanmoins, tout ceci aurait pu bien se finir s'il n'avait pas osé dire le mot qu'il ne fallait pas.

Harry. Harry Downcry. Ce monstre qui nous avait fait vivre un cauchemar vivant. Me redressant cette fois complètement, je n'eus aucune pitié ni blessure dans mon ventre, tout n'était plus que rage. Levant un bras, j'envoyais un tiroir valser vers Felix, puis une ensemble de draps, puis une lampe non loin de là, sur la table basse. Oh, et puis un autre tiroir. A toi d'esquiver tout ça espèce de salaud !! Je me mis à quatre pattes devant lui et fit comme le chat qui feulait.

Comment oses-tu prononcer ce nom en ma présence !?!! Espèce d'enfoiré, je pensais que tu avais changer mais au final tu restes la même petite pédale !! Traître !

Intéressant que j'ai pu moi-même le traiter de traître alors que combien de fois avais-je pu porter ce titre. Mais qu'importe, je poussai un cri de tristesse et m'en retourna lui tourner le dos, nu, me recroqueviller. Petit con, toujours en train de forniquer avec ton vétérinaire et pendant ce temps tu me refuses ta verge. C'est insupportable, et voilà que les douleurs au ventre revinrent.

Il releva la tête vers Amy quand, du coin de l’œil, il la vit se lever du lit. Malgré sa nudité, il la regardait droit dans ses yeux apparemment furieux. Intrigué, Felix fronça les sourcils avant de comprendre qu’il avait sûrement dit quelque chose qu’il ne fallait pas. Le nom d’Harry était donc tabou ? Il semblait avoir un passé commun plus important qu’il ne le pensait, avec le Scientifique. Et un passé qu’apparemment, Amy voulait enterrer. Il la vit lever le bras et il n’eut pas comprendre ce qu’elle faisait qu’une chose vint le percuter dans le dos. Il vit rapidement un tiroir tomber sur le seul tandis qu’il se frottait le bas du dos, là où le coin pointu de l’objet était venu le percuter. Mais rapidement, il vit un drap venir l’entraver et reçut une lampe sur le bras et un nouveau tiroir sur le front. Il se débarrassa rapidement du grand tissu pour le jeter à ses pieds regardant Amy avec un air aussi bien indigné que courroucé. Cela ne servait à rien de le frapper, il était amnésique, ne se souvenait pas de tout de ce qu’il s’était passé dans sa vie. Mais son épouse avait l’air d’être hors d’elle alors qu’elle crachait presque que toute sa haine qu’évoquait le nom du Scientifique.

Pédale ? Traître ? Les mots étaient durs et sonnaient bizarres dans la bouche de son épouse. Non pas que ce soit le fait qu’elle soit grossière qui le gêne (elle l’avait toujours été un peu) mais le fait qu’il soit un traître. Il la regarda avec un air froid et détaché avant qu’un sourire méprisant vienne se dessiner sur ses lèvres. Puis il soupira et secoua la tête avant de se prendre l’arête du nez entre deux doigts. Elle fit demi-tour, repartit sur son lit, en gémissant de douleur. Felix la regarda faire en silence, hésitant à lui dire qu’il avait couché avec lui mais qu’il n’avait pas trop su ce qu’il lui était arrivé et n’avait pas osé lui dire non. Il sentit alors une petite brise sur sa joue et vit Tinky qui regardait sombrement Amy. Le bec du moineau se tourna vers lui et le regard de l’animal se révéla être extrêmement angoissant tant il était vide. Une migraine aussi violente que soudaine s’empara de sa tête avant d’avoir l’impression de tomber, de s’endormir.

Tinky ouvrit les yeux de Felix et regarda Amy avec toute la haine et le dégout qu’il était possible d’avoir sur cette Terre. Il s’approcha d’elle, les poings serrés, la mâchoire crispée, les yeux grands ouverts et un léger sourire dément sur les lèvres.

- Comment oses-tu l’appeler traître ? Dois-je te rappeler le nombre de fois où tu as écarté les jambes devant le premier bâtard à queue qui se pointait pour qu’il te défonce la chatte ! Dois-je te rappeler aussi qui est partie avec Emma sans prévenir ! QUI EST LA TRAÎTRE, HEIN, SALE PUTE ?!

Le moineau avait le visage complètement déformé par la haine. Une haine que le visage de l’horloger n'avait pour l’instant jamais affiché. Mais Felix avait laissé sa place trop rapidement à son hallucination et le voilà qui voulait reprendre le dessus. Le corps qui était le théâtre d’une guerre entre deux âmes poussa un cri de douleur tandis qu’il rejetait la tête en arrière pour que Felix se réveille. Il ne comprit pas ce qu’il faisait si proche d’Amy à présent mais qu’importe. Ce n’était pas là le problème principal. Il prit donc une voix qu’il voulut douce avant de dire :

- Amy… Je n’ai fait que croiser Harry dans les couloirs. Et… un autre Scientifique, David, je crois… il m’a dit qu’Harry avait tué Emma… Tu crois vraiment que je lui ferai confiance après ça ?! Je suis amnésique, ma chérie… partiellement… Mais je ne me souviens pas de comment j’ai pu rencontrer ce Downcry en dehors du Manoir…

Il marqua une pause, cherchant ses mots rapidement avant de dire tout simplement :

- Je ne me souviens pas de lui.

Sa jalousie avait repris le pas sur tout ce qu'elle pouvait avoir comme détachement par rapport à Felix. Car malgré le fait qu'elle puisse voir ailleurs, elle avait toujours haï cet homme, Harry, et tout ce qui pouvait se rattacher entre lui et son mari. Elle s'en retourna donc bouder méchamment, ne voulant plus parler de cet homme. Seulement, elle sentit bien que le mot de trop avait été dit. C'est en entendant la voix tonitruante de Felix qu'elle se remit brusquement devant lui, ne reculant même pas d'un pouce, espérant que dans sa soudaine rage, il puisse lui venir à l'idée de la prendre. Mais pas même cela. Tandis qu'elle le regardait sans sourciller, l'expression du visage de son mari changea de la violence à une extrême incompréhension. Jamais il n'avait été comme ça avant. Le manoir l'avait tout bonnement rendu fou, et c'était évident pour n'importe qui l'ayant déjà vu par le passé, alors rendez-vous compte à quel point cela peut-être évident pour Amy. Mais elle se rendit également compte que cette version gueulante devait être beaucoup plus hostile à elle que la deuxième facette, ressemblant déjà beaucoup plus au Felix qu'elle avait connu.

Tuer...tuer Emma...non...non...il ne peut pas...il a tué notre dernier enfant... ?

Des larmes fantomatiques vinrent contre tout attente couler sur ses joues de blancheur. Jamais elle n'aurait cru qu'une telle annonce puisse la mettre dans cet état. Aurait-elle un sens maternel plus développé qu'il n'y paraît ? Elle avait toujours regretté de toujours mettre le sexe avant toutes les autres préoccupations...du moins s'en souciait-elle quand elle n'était pas en manque, c'est à dire très rarement. Mais cette parole lui fit l'affaire d'un choc en travers de son cœur. Elle s'assit sur le lit, regardant ses mains avec effroi. Cela ne pouvait être à cause d'elle...non, elle le refusait. Regardant alors son mari, elle lui jeta comme un lourd appel à l'aide du regard. Mais rien ne vint, pas une parole. Il continuait de parler d'Harry, de vouloir se souvenir de lui.

Non...pitié Felix, tu n'as pas besoin de te souvenir de lui...

Elle lui ouvrit ses bras qu'elle soit encore nue. Toute sa nature belliqueuse s'était d'un coup évanoui. Face à la possibilité de la mort d'Emma, elle avait oublié son mal de ventre permanent et n'avait plus besoin que de la présence de son mari près d'elle. Du père de son enfant. Car si c'était une information bien véridique, alors cela signifiait bien plus que ce qu'on voulait bien dire...Emma était le symbole de leur union, ils l'avaient conçu avant même leur mariage, cela signifiait donc beaucoup pour eux deux...pour elle en tout cas. Mais pour Felix, qui ne semblait avoir que Harry en tête, qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Son mari était-il encore à elle ou bien avait-il toujours été à lui ? Qui avait été l'amant au final, lui ou elle ? A cet idée, son ventre se torda davantage et elle se mordit la lèvre jusqu'au sang qu'elle n'avait plus pour oublier. Elle se sentit brusquement très mal, si Felix avait pu devenir fou de rage, il allait pouvoir le redevenir à n'importe quel moment. Contre elle qui le méritait et qui ne pouvait plus rien faire pour s'excuser...car même en fantôme elle le trompait. Il n'y avait rien à faire pour la changer....

Felix regarda Amy avec un air peiné et abattu mais néanmoins intrigué quand il vit que son épouse semblait partager sa douleur. Bien qu'il ait encaissé le choc du possible décès de leur fille, il se trouvait d'une incroyable froideur et impassibilité face à ça. Contrairement à sa femme, qui, contre toute attente, semblait bien plus affectée que l'horloger ne l'aurait pensé. Mais un mot retint surtout son attention. "Dernier". Et non pas "seul" comme il l'avait d'abord dans sa tête. Dernier signifiait qu'il y en avait eu un autre. Ou peut-être plusieurs même, avant… Pourquoi ne s'en souvenait-il pas ? Pourquoi sa mémoire avait-elle décidé de cacher l'existence d'un de ses enfants ? Qu'était-il arrivé à cet enfant ? Combien en avait-il eu ? Car, dans ses souvenirs, il en était certain de ceci, David avait dit qu'Harry avait tué son enfant et non Emma. Il n'avait jamais précisé que c'était Emma. Serait-elle donc vivante…? Plongé dans ses pensées, il entendit alors la voix d'Amy lui dire d'arrêter de penser à Harry… et elle avait sûrement raison. Il eut un air triste et compatissant quand il vit son visage abattu et vint s'asseoir à côté d'elle. Il voulut la prendre dans ses bras mais ces derniers passèrent au-travers du corps de son épouse. Il posa donc ses mains sur ses genoux, légèrement gêné. Il garda un silence et tenta un sourire.

- D'accord mon cœur. Je ne parle plus de lui…

Mais la question des enfants lui revint rapidement en mémoire. Il regarda le sol avec un air vide, de nouveau absorbé par ses pensées, essayant de chercher l'existence d'un autre enfant dans sa mémoire qui lui faisait défaut. Il se prit rapidement la tête entre les mains, fermant les yeux, essayant de taire la voix de Tinky qui murmurait des insultes toutes plus grossières les unes que les autres à l'égard de la femme assise à côté d'eux. Enfin de lui. C'était la même chose. Bref. Le moineau ne l'aidait pas à se concentrer alors autant dire à Amy ce que ce David lui avait dit concrètement. Peut-être que son épouse pourrait lui rappeler certains passages qu'on lui avait fait oublier…? Il reposa donc ses mains sur ses genoux dans un petit soupir triste. Il resta immobile un instant avant d'hésiter plusieurs fois à se lancer, cherchant ses tournures de phrases. Sans regarder Amy, il dit :

- Je me souviens parfaitement de ce que David m'a dit. Il… Il a dit qu'Harry avait "tué mon gosse"… Et il a aussi dit qu'il t'avait empoisonné. Deux fois… Je ne sais pas qui est ce David mais il a l'air d'en connaître plus sur nous que moi-même…

Il eut un petit rire nerveux alors qu'il essayait de faire une touche d'humour. Son regard devint de nouveau triste et il renchérit :

- Enfin, s'il dit la vérité…

Il soupira tristement, se sentant soudainement vide. Sa femme était morte. Emma est peut-être morte. Et lui, il perdait la tête dans un endroit dangereux ou tout le monde semblait prendre un malin plaisir à l'ouvrir en deux ou lui planter des scalpels. Encore ce David. Felix ne savait pas quoi penser de lui… Il demanderait à Amy, plus tard. En attendant, il se massa machinalement sa cuisse blessée en train de cicatriser. Puis, un groupe de mot retint de nouveau son attention : "il t'avait empoisonné". Tout le monde savait que certains poisons étaient parfaitement et efficacement mortels. Et son épouse était morte. Il lui semblait qu'elle lui avait parlé d'un suicide mais il n'en était plus vraiment sûr. Il la regarda avec un air effrayé, les yeux humides.

- Mon Dieu, Amy. Est-ce que c'est lui qui t'a… qui t'a tuée…?

Il se rapprocha effectivement d'elle, ne pouvant malheureusement l'enserrer. Amy regarda ses bras la traverser tout en pleurant doucement, sans faire le moindre bruit. Elle se retenait, non pas par manque de tristesse ou par fierté, mais juste parce que déjà qu'elle n'était pas touchable, mais si en plus elle allait s'enlaidir par trop de larmes, cela ne serait pas bon pour elle. Regardant Felix sur le lit, elle essaya de caresser sa joue doucement, le visage empreint de tristesse. Son enfant, Emma...malgré le fait qu'elles se soient toujours presque cordialement détestées, il y avait quelque chose entre elles qui ne pouvaient que les lier. Le fait qu'elles étaient exactement les mêmes dans la tête. Bien qu'Emma ne soit pas atteinte de nymphomanie et Dieu merci pour son âge, elle restait tout de même quelqu'un de terriblement perspicace qui avait su nombre de fois voir à travers ses sorties noctures pour aller voir quelques hommes bien portant qui rattraperaient les fois où Felix ne pouvait la satisfaire.

Non...non ce n'est pas lui qui m'a tué...mais j'aurai presque préféré...je t'ai déjà dit que je m'étais suicidé par la faim...J'ai tellement regretté d'être partie loin de toi, et j'avais passé tellement de temps à chercher la sortie que j'ai compris que jamais je ne la trouverai...et j'ai songé que tu avais repris femme depuis le temps...

Elle baissa la tête, le regard triste et une main serrée en poing contre sa poitrine dénudée. Car oui, il n'y avait pas plus burlesque dans cette situation que de se dire que durant toute cette scène de tristesse, de colère et de soudaine tendresse, notre chère protagoniste à chevelure ondulé n'était qu'en tenue d'Eve. Bien protégée par son aspect fantomatique, elle n'avait aucun regret à se laisser vivre, elle savait que plus personne maintenant ne pourrait la blesser. Physiquement.

Quant à ce qu'à dit David...c'était notre médecin de famille. Il nous a soigné pendant des années et nous a même plusieurs fois sauvé la vie quand Harry a essayé de tous nous empoisonné...moi, toi, Emma...et Benjamin...tu t'en souviens de lui ?

Amy s'approcha un peu plus de lui, soutenant son regard tout en rendant le sien interrogatif. Avant de prendre ses joues avec ses deux mains de chaque côté, lui souriant doucement. Elle avait oublié Erwan. Mais c'était toujours comme ça, même quand elle était vivante. Même avant qu'elle ne soit dans ce manoir. Quand Felix n'était plus là, elle cherchait quelqu'un pour s'assouvir, mais dès qu'il apparaissait devant elle, Amy ne voyait plus que lui. Triste bien triste condition. Etait-ce de l'amour encore ? Ou tout bonnement de la dépendance ?

Felix eut un air triste quand Amy parla de son suicide. Ce souvenir de son fait était maintenant évident et il se demandait pourquoi il ne s'en était pas rappelé plus tôt. Elle parla d'un remariage que l'horloger trouvait juste parfaitement inconcevable. Jamais il n'avait voulu se remarier avec quelqu'un d'autre. Il n'avait même pas su qu'elle était morte, qu'Emma aussi. Il n'avait rien su de leur départ, si elles avaient été kidnappées, tuées, parties. Pendant de longs mois, il les a cherchées dans Londres et dans les environs avant que l'épuisement de ses courses jour et nuit et l'abattement d'avoir perdu les êtres les plus chers pour lui ne le fassent sombrer dans l'alcool et l'opium. Il savait qu'ils n'avaient jamais eu beaucoup d'argent, sans être pauvres pour autant, mais dans sa mémoire, il lui semblait que tout le reste de leur argent s'était transformé en vapeur d'opium. Qui aurait voulu d'une tache comme lui, sérieusement ? Il n'aurait jamais pu se sortir Amy de la tête, il n'aurait jamais pu l'oublier. Sa nouvelle femme n'aurait été rien à ses yeux. Elle se serait efforcée à essayer de lui faire oublier Amy mais tout ceci n'aurait que vain. Il n'aurait jamais pu lui oublier. Ses yeux s'humidifièrent à nouveau avant qu'il ne soupire et cache le haut de son visage dans sa paume.

Elle parla alors de Benjamin et l'évocation de ce nom lui fit une sensation bizarre dans le ventre. Il ressentit même une grande tristesse tandis qu'il eut même l'impression d'entendre Tinky soupirer tristement. Non, il ne se souvenait pas de ce Benjamin, mais il avait l'impression de le connaître, qu'il était familier. Était-ce un membre de sa famille ? Où était-il maintenant ? Tant de questions se bousculaient dans sa tête que cela commençait vraiment à l'énerver, de ne plus se souvenir de rien. Il tourna son visage vers Amy quand il sentit la brise fraiche de ses mains sur ses joues. Il la regarda dans les yeux et vit que sa question semblait très importante pour elle et il avait peur de donner une mauvaise réponse qui l'énerverait ou lui ferait plus de peine. Mais… il était amnésique après tout… Ce n'était pas vraiment de sa faute, il voulait lui aussi que sa mémoire arrête de lui faire défaut et revienne dans son intégralité plutôt que par flashs douloureux à des moments aléatoires… Quoiqu'il en soit, il eut un air désolé et secoua négativement la tête.

- Non… Désolé, je ne sais pas qui c'est…

Il repensa au fait qu'Amy venait de lui dire qu'Harry avait empoisonné toute leur famille et que David avait été leur ami, qui les avait sauvés plusieurs fois. Felix fronça les sourcils, essayant vainement de trouver une logique à tout ceci. Le vétérinaire avait prétendu l'avoir sauvé. Et le chirurgien l'avait poignardé avec un rictus mauvais. Apparemment, lui et Harry étaient ensembles, plus ou moins. Ou du moins, David avait des vues sur ce qui semblait être son supérieur et pourquoi diable s'encombrait-il la tête avec des questions idiotes qui ne l'aideraient sûrement à rien ? Essayer de trouver une logique au comportement des gens était aussi compliqué que de trouver Rockwood dans ce Manoir en étant aveugle. Il chercha donc quelque chose pour se vider la tête, arrêter de réfléchir sur des souvenirs perdus car il lui manquait clairement des éléments essentiels, des pièces du puzzle à assembler pour pouvoir tout comprendre. Il regarda donc Amy avec un petit sourire triste mais tendre à la fois et lui dit la première chose qu'il lui passa par la tête et ce fut d'ailleurs la chose la plus sincère qu'il lui était capable de dire :

- Je t'aime, Amy.

Il repensa à la dernière fois où il avait prononcé ces mots, avec Harry. Enfin… Son corps les avait prononcés, il n'avait jamais voulu dire une telle chose à un inconnu qui lui avait sauté dessus après deux heures en sa compagnie. Mais il devait se le sortir de la tête. Penser à Amy et perdre son regard dans ses yeux.